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Hommage de Régis Yagoubi

Cher Marcel,

Je t'ai écrit cette lettre et, après avoir hésité très longtemps, je me suis décidé à venir te la lire, ici, dans ce théâtre, magnifique qui a vu jouer Franz Liszt, vu aussi les débuts de la NGT et défiler de grands musiciens que tu aimais beaucoup ; je suis sûr que cet endroit t'aurais plu. Je me devais donc d'être présent pour toi, ta famille et quelques amis.

Ben voilà Marcel, çà fait 10 ans. 10 ans que t'es parti. Ca me fait bizarre, t'avais 45 ans quand tu nous as quittés. Aujourd'hui, 10 après, j'en ai aussi 45. Drôle de coïncidence.

Je ne t'ai jamais connu personnellement, Marcel. Par contre, je t'ai côtoyé à travers tes disques et tes tablatures pendant de longues heures et de longues années passées, seul, dans ma chambre d'adolescent, pas très loin d'ici. En fait, tu sors du théâtre, tu prends 2 fois à droite, 1 fois à gauche et ... mais je m'égare.

A tel point que mes parents s'inquiétaient de me voir toujours seul avec cette guitare, tapant du pied, à essayer de reproduire cette technique diabolique qu'est le picking. « Mais c'est qui ce Marcel Dadi ? » me répétaient ils avec une grosse pointe d'agacement. A l'âge où mes petits camarades commençaient à s'ouvrir à la vie et à courir la gueuze, et à en boire, moi, je restais là cloîtré, tel un moine cistercien en robe de bure, dans cette chambre aux revêtements muraux de couleur bleu électrique façon années 70 et aux meubles en formica blanc, oui je restais là à courir derrière tes hammer-on et des pulling-off. Te rends tu compte Marcel que ma scolarité en a pris un sérieux coup à cause de tes slides et de tes chokes ? au grand désespoir de mes parents qui me voyaient déjà, non pas en haut de l'affiche, mais en robe d'avocat ou en blouse de médecin voire même en soutane, non pas en soutane !! Alors Marcel ! Que reste t-il de tout çà ? Que reste-t-il de nos amours ? Un 33 tour jauni ? Quelques tablatures sur des pages vieillies ? Qu'as-tu fait de mes souvenirs d'adolescent tourmenté, en patte d'éléphant, m'interrogeant sur les titres de tes morceaux que je lisais sur tes disques, titres auxquels je ne comprenais rien, allant des song for kathy à romantic sauerkraut en passant par song for Chet qui entraînait inévitablement la blague à 20 centimes qui consistait à dire Song fourchette ignorant complètement qui était ce Chet ; ou encore les songs for Merle ou song for Doc, song for Jerry ; j' ai compris bien plus tard que tu parlais de tes guitare héros américains : Merle Travis, Doc Watson et Jerry Reed. Et que dire des « je t'aurai, je crie vers toi, je te veux ». Combien de temps m'a-t-il fallu pour comprendre que ton humour dévastateur cachait une grande spiritualité, une foi et un amour obstiné pour ton prochain, malgré les railleries de quelques imbéciles forcément jaloux de ton talent ?

Que dire de tous ces grands guitaristes que tu m'as fait découvrir, Marcel ? ; Que dire de ce monde fabuleux de la guitare made in Usa que j'ai découvert également grâce à toi en m'apercevant que NON ! I was not, je n'étais pas seul dans ce monde de brutes à souffrir et à suer comme une bête sur les basses alternées du Finger-picking. Que dire de ce soir de décembre de l'an de grâce 1977 après J.C où je suis venu te voir, à Paris, pour ton 2ème Olympia, je me plais à me souvenir de ce parfum d'aventure et d'innocence, plongé que j'étais, naïf, en totale apnée, dans l'insouciance et la beauté de mes 16 ans. Que c'est beau ! J'avais les yeux de Chimène pour toi, Marcel, ce soir là, la bouche bée d'admiration et le regard fixé sur tes chaussures noires vernies dont tu ne manquais pas de te moquer, moi qui pensais que tu ne portais uniquement que des santiags, ce fut un choc pour moi. T'imagines même pas ! Ce soir là, sur cette scène tellement prestigieuse, synonyme de consécration, que dire de ma jouissance de te voir briller de mille feux en compagnie de ton mentor, ton héros, le grand Chet Atkins, Mr guitar en chair et en os, the Big Chief, le boss, toi rayonnant de bonheur et Chet au sommet de son art comme toujours.

Et après ces temps bénis, malheureusement, que dire de ces années 80 synthétiques qui ont tout balayés sur leurs passages, rangés le monde a coustique au placard de la ringardise, plongés dans le désarroi le plus profond les âmes des guitaristes chevelus post 68tard. Je plaisante Marcel mais je sais que t'avais le coeur gros à cette époque et une longue période de doutes et d'interrogations a commencé pour toi. Et comme les gens ont la fâcheuse tendance à brûler ce qu'ils ont aimé, à considérer que l'herbe est plus verte ailleurs et aller là où çà brille sous les feux de la rampe, personne ne voulait plus de tes gimmicks, ni de ton tchik-boum légendaire qui était devenu un objet de moquerie. J'entends encore les « Oui, Marcel Dadi, c'est toujours pareil ». Alors, blessé dans ton âme, tu es parti, discrètement, dans ce pays en proie à toutes les tensions, ton pays, mystique et mystérieux, dur et spirituel. Tu es parti pour chercher des réponses, tes réponses auprès de Lui avec un L majuscule. Des réponses sur ta vie, des réponses sur le devenir de ta carrière, des réponses sur l'injustice flagrante de ne pas être reconnu pour ton talent et pour toute la somme de travail artistique et pédagogique que tu avais fourni, l'injustice de voir que les gens s'intéressaient plus au top 50 qu'à la guitare, pourtant instrument populaire par excellence. Dieu reconnaîtra les siens, comme il est dit ; mais pourquoi Dieu ou je ne sais quel Dieu t'a laissé dans ce sentiment d'être perçu comme un extra-terrestre, d'être incompris de tes semblables. « Au village sans prétention, j'ai mauvaise réputation » disait le poète et nul n'est prophète en son pays, toi qui l'étais un peu quelque part. Artiste incompris, freak of nature, monstre de la nature comme me disait, récemment, ton pote plein d'admiration et de reconnaissance pour toi : Buster B. Jones. Oui la question reste posée. Aujourd'hui, Marcel, tu as toutes les réponses et moi, je reste là, comme un con, avec mes doutes.

« N'oublie pas le fromage blanc à 0% de matière grasse » non, pardon, çà c'est un mauvais copier coller. Et puis tu es revenu, Marcel, tel Moïse redescendant du mont Sinaï, la barbe blanchie et les yeux remplis de lumière, comme s'Il t'avait écouté, comme s'Il t'avait apporté quelques réponses, Il avec un I majuscule. Et de nouveau tu as oeuvré et brandis ta guitare comme un étang d'art. Tu expliquais aux gens qu'en cherchant ardemment une nouvelle voie à ta carrière artistique, tu avais trouvé une nouvelle technique de guitare et tu finissais par annoncer fièrement, un petit sourire au coin des lèvres : « J'ai cherché et j'ai trouvé ! ». Et tu continuais en te cachant derrière ton humour en martelant « plutôt que de faire un boum et un tchik, maintenant je fais 1 boum, 1 thick et 2 boum boum et que surtout, le tchik est devenu un vrai tchik ». Mais moi, je savais que tu avais trouvé autre chose, Marcel !!! Faut pas me la faire.

Et puis, tu as créé avec quelques amis, le festival de guitare à Issoudun en faisant venir tous tes potes guitaristes américains, t'as même réussi à convaincre Chet de revenir en France. Et par la même, tu as re-suscité des vocations et poussé sur le devant de la scène quelques jeunes talents. Abnégation, toujours. Enfin, consécration suprême, le rêve de toute ta vie, tes potes amerloc ont fini par t'honorer en te décernant cette étoile sur la Walkway of Star du country hall of Fame de Nashville, Yeah !!! Le temple de la country music, Yeah ! ; Après le temple de Salomon et son mur sacré, te voici dans un autre temple, celui de la guitare. Et ton étoile y brille pour l'éternité. Yeah !

Oui Marcel, que reste t-il de tout çà ; J'ai longuement réfléchi, ce qui est rare chez moi, j'ai longtemps cherché et à mon tour, j'ai trouvé ! J'ai trouvé que la réponse était ailleurs et toute proche à la fois. Marcel, sais tu que tu as allumé cette bougie que j'avais en moi, éteinte, un soir de juillet 1973, entre 21H20 et 21H25 ; cinq minutes de guitare qui ont fait que ma vie a basculé. Hein ? Bon ok ! j'exagère un peu.

Il n'empêche : sans faire dans la guimauve ou dans les phrases emphatiques maladroites et stériles. je veux te dire Marcel que depuis 30 ans, lorsque je joue de la guitare, comme ce soir..., non, pas comme ce soir..., il n'y a plus rien de désagréable, c'est bonheur, c'est bonheur dans le coracão (en brésilien) ! Plus de soucis, plus de calculs, plus de fatigue, plus de mal à la tête, alouette. Ne reste que la pureté au bout des doigts et on redevient des enfants, dans le coeur et dans la tête, alouette. J'ai fait des rencontres merveilleuses, j'ai connu de grands guitaristes qui étaient dans la lumière et mais aussi et surtout beaucoup d'amateurs qui sont dans l'ombre ; mais le résultat est le même : une flamme qui brille dans l'âme de tous ces gens. Tu sais Marcel, ils sont nombreux ces gens de l'ombre aujourd'hui à te vouer une vrai fidélité voire plus si affinités. Des groupes et des rencontres se sont crées depuis, et les initiatives restent bien présentes dans notre beau pays; moi-même, j'ai créé ce festival à cause de toi, bougre de guitariste !

Voilà Marcel, tu peux être fier de toutes ces bougies que tu as allumées et qui continuent de briller en nous malgré le temps qui passe ; il est peut-être là ton esprit. Esprit est tu là ?

Qu'on en finisse ! Je retourne à mes chères études et au dessert que je n'ai pas terminé, je continuerai de jouer, souvent en pensant à toi et nul besoin d'en faire étalage. Embrasse Chet pour moi et dis lui toute mon admiration.

A bientôt Maestro !

Régis Yagoubi, le 03/03/2006